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  • chantalbielmannjam

Rêveur



Par une nuit glaciale de pleine lune, Rêveur ne trouvait pas le sommeil. Il était trop préoccupé par ses envies de voyage. Son surnom lui avait été donné par son père, quand il était encore petit, parce qu’il s’amusait toujours à lui raconter ses nombreux rêves. Cette nuit-là, il entendit des pas lourds et menaçants qui provenaient de la cuisine. Il voulut se lever pour comprendre ce qui provoquait ce bruit, mais il avait été enfermé par son beau-père dans sa chambre. Ah ! Si seulement il avait une potion qui lui permettrait de rétrécir afin de passer sous la porte et d’accéder à un monde imaginaire, comme dans les livres que lui lisait son père ! À la mort de ce dernier, Rêveur avait transformé sa chambre en pays des songes d’où, avec son fidèle compagnon Doudou, il parcourait le monde en imagination. Étouffé par la chaleur des plumes de son coussin, Rêveur finit par s’endormir. Il rêva qu’il partait au pôle Nord avec son père, qui lui avait transmis sa passion des voyages. Le pôle Nord l’avait toujours attiré. Il espérait y trouver d’immenses paysages blancs comme des feuilles vierges où il pourrait inventer sa propre histoire.


Au matin, il fut réveillé à l'aube par des coups frappés à sa porte. Son beau-père lui rappelait ainsi d’aller chercher de la farine chez sa marraine, afin de faire des galettes. Chez cette dernière, au milieu des sacs de farine, un objet attira le regard de Rêveur. C’était une carte de géographie. Devant le regard fasciné du jeune garçon, sa marraine la lui tendit et, avec un clin d’œil, lui dit : « Cette carte appartenait à ton père. Il me l’avait confiée pour que je te la donne quand tu serais prêt. Tiens. Elle est à toi. Tu en auras besoin désormais. » Pris par l’excitation de cette nouvelle acquisition, qui avait fait renaître en lui le désir de voyager, Rêveur, oubliant presque la farine, regagna sa chambre et empaqueta dans un baluchon rouge toutes ses affaires : Doudou, bien sûr, la fameuse carte, une couverture et même la farine ! Puis il s’enfuit de chez lui. Il était joyeux et plein d’entrain : il avait avec lui la carte de son père, il était certain d’arriver à bon port.


En chemin, Rêveur croisa soudain sept petits biquets qui couraient en sens inverse. Où allaient-ils avec tant de hâte ? Curieux, Rêveur tournait la tête pour les suivre du regard quand il percuta... un loup ! « Que fais-tu seul dans les bois ? demanda le loup d’une voix grinçante. - Je fuis de chez moi et je pars au pôle Nord... mais je crois m’être perdu... », répondit Rêveur encore tout joyeux.

- Pas du tout, tu n’as qu’à suivre le chemin, tout droit, il traverse le village et débouche au pôle Nord, mentit le loup. Je vais t’y accompagner », continua-t-il de sa voix suspecte. Rêveur en perdit sa bonne humeur : le loup ne lui inspirait plus du tout confiance mais il n’eut d’autre choix que de se laisser accompagner. Ils se mirent donc en chemin. Lorsqu’ils arrivèrent au village, tous les habitants, apeurés à la vue du loup, se ruèrent à l’abri dans leur maison. Rêveur comprit qu’il fallait se débarrasser au plus vite de ce compagnon bien trop encombrant !


À l’entrée du village se trouvaient trois petites maisons. La première était en paille, la deuxième en bois et la troisième en briques. Lorsqu’un petit cochon tout replet sortit de la première, les yeux du loup se mirent à briller d’un étrange éclat. La bête se léchait déjà les babines, prête à foncer sur son innocente proie. Rêveur, horrifié, voulut en profiter pour s’enfuir, mais la bête l’attrapa par le baluchon. Par chance, le sac de farine s’ouvrit et déversa tout son contenu sur son agresseur. Aveuglé et pris d’une toux irrépressible, le loup s’arrêta net dans son élan.


Rêveur en profita pour lui échapper pour de bon. Il s’engouffra dans la première maison venue. À l’intérieur, tout y était en triple et de taille croissante : trois tables - une petite, une moyenne, une grande ; trois chaises - une petite, une moyenne, une grande ; trois lits - un petit, un moyen, un grand... Intrigué, Rêveur voulut visiter les lieux, mais quand il aperçut la silhouette de trois ours, il fit aussitôt demi-tour.


La maison suivante était faite de gâteaux. La troisième était habitée par un petit bonhomme en pain d’épice qui accueillit avec enthousiasme Rêveur et lui offrit de quoi manger. En échange, Rêveur lui laissa le sac de farine à moitié vide. Le bonhomme en fut ravi : c’était exactement la quantité qui lui manquait pour faire des biscuits. Rêveur sortit également la couverture de son baluchon et, après une journée épuisante, il s’endormit près du feu. Le lendemain, Rêveur remercia Monsieur Pain d’Épice pour son l’hospitalité et reprit son chemin à travers ce mystérieux village. Les maisons s’enchaînaient, chacune plus étrange que les autres, toutes semblant sortir d’un conte. Rêveur tira Doudou de son baluchon car il commençait à se sentir vraiment seul au milieu de ces habitants si particuliers. Il croisa même un lapin blanc qui courait, une montre à la main, en répétant : « Je suis en retard ! »


Ce village était vraiment interminable et lorsque l’enfant en eut enfin atteint le bout, le pôle Nord n’était toujours pas en vue. Perdu et épuisé, Rêveur consulta sa carte. Il découvrit alors avec stupéfaction que le village y était apparu. Il portait même un nom : Le Village des Personnages de Contes. Il se reconnut, avec son baluchon rouge, dessiné juste à la sortie du village... Mais une forme étrange et biscornue était crayonnée juste derrière lui ! Il se retourna précipitamment et aperçut... un ogre ! Ce dernier se dirigeait droit sur lui ! Pris de panique, Rêveur ne perdit pas plus de temps. Il laissa tomber ses affaires et partit à toutes jambes, direction une maisonnette toute rose munie d’ailes. Celle-ci s’envola dès que Rêveur s’y fut engouffré et en eut fermé la porte. Assise devant la cheminée, en train de lire, se trouvait une fée, qui, étrangement, lui paraissait familière. La vieille dame lui fit un grand sourire. C’était sa marraine, qui était en réalité sa bonne fée. Il lui raconta sa grande épopée à travers la forêt et le village, puis il s’endormit, exténué.


Pendant son sommeil, la fée donna un coup de baguette magique et la carte ainsi que le reste des affaires de Rêveur entrèrent magiquement par la fenêtre et retrouvèrent leur place dans le baluchon. À son réveil, Rêveur se rendit compte qu’il était seul. La bonne marraine s’était volatilisée. Avait-il rêvé ? En tout cas, il avait retrouvé sa chère carte ! Il la déplia pour s’assurer que l’ogre avait bel et bien disparu et pour retrouver la route du pôle Nord. Il lui restait encore tant de chemin à parcourir et tant d’obstacles à traverser. Pour descendre de la maison magique, Rêveur s’installa sur le tapis volant qui l’attendait devant la porte. Il partit ainsi à la découverte de nouvelles contrées... ou presque. Le tapis était en effet bien vieux et il n’allait pas très vite. Il l’emmena tout de même dans un bar où il fit la rencontre des Aristochats qui donnaient un spectacle de scat accompagnés aux claquettes par un mystérieux chat avec de grandes bottes. Les places étaient malheureusement occupées par une centaine de Dalmatiens. Rêveur quitta le bar à regret et se laissa tenter par la devanture d’une pizzeria où il dégusta des spaghettis auprès de deux chiens qui ne se quittaient pas du regard. Puis il continua son odyssée. Au détour d’un chemin, il rencontra sept nains qui, comme l’annonçait leur chanson, rentraient du boulot. Il voulut les suivre, mais la nuit tombait et il fallait trouver un abri. Rêveur s’allongea alors sur son tapis volant, avec sa couverture et son Doudou, afin de pouvoir se reposer.


Très tôt le lendemain, il fut réveillé par un petit homme à peine haut comme trois pommes qui se rendait au prochain village afin de délivrer un message du Prince. Rêveur décida donc de continuer sa route avec lui. En chemin, ils se mirent à chanter: « Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux... », pour faire passer le temps. Arrivés à la lisière de la forêt, Rêveur sortit sa carte. Cette dernière lui indiqua qu’ils entraient dans le « Village des Princesses et des Fées ». C’était un village rempli de châteaux, de tours, de princes, de bals, de robes, d’invitations, de buffets, de cadeaux et de joie. Tapies dans l’ombre se trouvaient aussi des belles-mères, des sorcières et une vieille dame affairée à filer de la laine sur un fuseau. Du premier château s’échappaient les cris d’une bête féroce. Le long de la tour adjacente pendait une longue chevelure dorée, alors que, du plus grand des châteaux, s’enfuyait une jeune princesse, une citrouille à la main et une seule chaussure aux pieds. Rêveur fut émerveillé et décida de rester quelques temps dans la contrée afin de pouvoir s’amuser. Le monde extérieur recelait tant de trésors, tant de villages qu’il pourrait encore visiter! Il en oublia sa quête et se plongea dans mille aventures : il se battit contre des pirates, aidé d’un jeune homme vêtu de vert. Cela dura de longs mois.


Puis un jour, lassé de tant de distractions, il jeta un coup d’œil plein de remords à sa chère carte, abandonnée dans un coin. Il posa son index sur le pôle Nord en soupirant:

- « J’aimerais tellement être là-bas !»

Alors, comme par enchantement, il fut y transporté, en quelques secondes, grâce à sa carte magique. Son rêve s’était réalisé ! C’est alors que sa marraine lui apparut à nouveau. Elle prononça une formule magique : « abracadabra revelium !» Surgit alors devant les yeux de l’enfant un village digne de ses plus grands rêves. Il alla s’installer dans un petit igloo magique, en compagnie de Doudou. L’intérieur était très agréable. Le plafond était comme transparent. On y voyait resplendir le ciel et ses étoiles. Quelques lutins et un gentil renne se regroupèrent près de lui, au coin du feu. C’est ainsi que Rêveur put s’endormir, tranquille et heureux, pour faire de beaux songes. Il savait que désormais, personne ne viendrait plus frapper rageusement à sa porte pour le réveiller dès l'aube. Il lui était désormais possible de réaliser ses rêves. Dès le lendemain, il inventerait sa propre histoire!

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