top of page
  • chantalbielmannjam

La Femme de marbre

Dernière mise à jour : 29 avr. 2019




Dans un monde lointain, par-delà les nuages et les océans, se trouvait un royaume fait de glace et plongé dans les ténèbres. Ce royaume avait été damné des années auparavant, lorsqu’un prince avait refusé la charité à une vieille mendiante, frigorifiée et affamée, qui demandait un simple morceau de pain. Or, cette vieille femme était en fait une sorcière qui avait maudit le prince égoïste : « Jeune prince, je ne vois que de la noirceur dans ton cœur ! Tu danses et fais bonne chère alors que ton peuple meurt de faim », lui avait-elle dit. Au même moment, le ciel s’était couvert et la neige avait commencé à tomber. Les lacs avaient aussitôt gelé et la température avait fortement chuté. La sorcière avait alors disparu dans une lumière éblouissante et la malédiction s’était abattue sur le royaume. Le peuple, apprenant que l’insensibilité du prince était la cause de ce mauvais sort, maudit son seigneur et le chassa.


Durant des années, les plus grands sorciers cherchèrent une solution pour contrer la malédiction, en vain. Jusqu’au jour où une jeune libraire lut une ancienne légende qui affirmait que seule la dent d’un dragon des mers pouvait inverser un sort jeté par une sorcière. Les dirigeants du pays décidèrent donc d’envoyer les meilleurs soldats du royaume vers le Nord, où se trouvait les tanières des dragons des mers, mais aucun d’eux ne revenait jamais. Plus les années passaient, plus le nombre d’échecs augmentait et, par conséquent, le nombre de disparus. Plus personne n’osait s’aventurer au-delà de l’horizon pour capturer un dragon.


Or, non loin d’une rivière, vivait un vieil homme barbu. On l’appelait le Sculpteur. Il avait reconverti sa petite maison en atelier afin de se livrer à sa passion, la sculpture. La bâtisse débordait de statues variant en taille et en forme. Sa toute dernière création était une jeune femme vêtue d’une armure, coiffée d’un casque et munie d’un bouclier. Alors qu’il finalisait quelques détails sur le heaume de la guerrière, un vent froid s’insinua dans la maison.

- Ah ! Si seulement un soldat assez courageux pouvait trouver un dragon et nous libérer de cet hiver éternel, dit le vieil homme en fermant la porte.

- Me voici, Père. Je ramènerai cette dent et vous sauverai. Dites-moi comment faire et j’accomplirai votre vœu, répondit tout à coup la statue en descendant de son socle.

Le sculpteur n’en croyait pas ses yeux et il tomba à la renverse. Devenait-il fou ? Il n’était plus si jeune après tout... Mais la Statue était bien vivante. Elle aida l’homme à se relever. Elle le dominait d’au moins un mètre. L’artisan expliqua à sa création la route à emprunter pour arriver à la Mer du Nord, là où vivait les dragons, et la façon de récupérer une dent. Alors la Statue se mit en route en direction du port. Là, elle vola une barque et prit la mer.


L’air était plus glacial encore sur l’eau que sur la terre ferme, le vent y était plus violent encore et la petite barque plongeait dangereusement au creux des vagues. Mais la Guerrière de marbre ne ressentait pas la peur. Le soleil commençait à se lever à l’horizon lorsqu’elle entendit un chant doux, étrange et envoûtant. Pourtant, elle était seule, il n’y avait personne à l’horizon. Elle se hasarda à jeter un regard par-dessus bord. Elle vit une jeune fille dans l’eau qui la fixait. Ses cheveux, aussi noirs que de l’encre, flottaient tout autour d’elle. Puis une autre femme, complètement chauve et ridée, apparut à ses côtés. Enfin, une troisième, à la chevelure de feu, sortit de derrière la plus jeune. Lorsque la Statue se pencha vers elles pour mieux les observer, les trois sirènes s’arrêtèrent net de chanter et l’arrachèrent de la barque et pour l’emmener sous les flots. La jeune femme ne se débattit pas, bien qu’elle fût entraînée toujours plus profondément vers les abîmes. Sur les fonds marins, la Guerrière vit un champ de squelettes vêtus d’armures de toutes sortes : c’était les cadavres des soldats qui s’étaient aventurés à la recherche du dragon, et qui avaient été noyés par les sirènes maléfiques. Mais la grande Statue n’avait pas besoin de respirer sous l’eau, contrairement aux humains : elle restait impassible et, tirant son glaive, elle trancha d’un coup la main d’une des filles de l’eau. Cette dernière poussa un hurlement rauque et s’enfuit, suivie de ses deux comparses, terrorisées.


La Statue remonta alors à la surface, regagna son bateau et continua son chemin. Deux jours et deux nuits passèrent. Lorsque sa barque s’arrêta devant la banquise, elle continua à pied. Sur sa route, elle croisa à nouveau de nombreux cadavres de soldats morts de froid, à cause des températures extrêmes du Nord. Mais le froid mortel ne dérangeait en rien la Femme de pierre, qui ne s’arrêtait pas. Finalement, elle parvint devant l’antre d’un dragon, un énorme trou creusé à même la paroi de glace. Elle s’enfonça alors dans la grotte, au fond de laquelle deux yeux rouges brillaient. Elle présenta son bouclier et dégaina son épée au moment même où le monstre se jetait sur elle. Il la propulsa hors de la grotte et la lança sur la neige. Sous le choc, l’un des bras de la Statue se brisa. Le soleil faisait briller la peau d’albâtre du dragon qui plongea sur la Femme de marbre. Cette dernière planta son bouclier dans la gueule de la bête, l’empêchant ainsi de refermer ses mâchoires. Elle s’agrippa au dragon et monta à califourchon sur son dos, avant de lui trancher la tête, qui tomba sur le sol dans un choc assourdissant. La Géante ouvrit la gueule du monstre et brisa l’une de ses canines d’un coup de bouclier. Elle avait réussi, elle pouvait désormais sauver le royaume.


Après cette victoire, la Guerrière entreprit son voyage de retour. Elle était en piteux état : il lui manquait un bras, son casque s’était fendu suite aux attaques du dragon et elle était fissurée de partout. Sur la mer, le froid mêlé à l’humidité saline aggrava ses fissures ; elle tombait peu à peu en morceaux.

De retour chez le Sculpteur, elle ordonna à l’artisan : - Père, emmenez-moi au château pour que je puisse donner cette dent à vos gouverneurs.

Le Sculpteur, apitoyé par l’état de sa création, se dépêcha d’emmener la vaillante Guerrière au Palais royal afin de pouvoir la réparer au plus vite.


Arrivée au château, la Statue raconta son épopée et donna la dent aux sorciers, qui s’empressèrent de la réduire en poudre avant de la lancer par les fenêtres. Au lieu de retomber en pluie sur le sol, la poudre monta vers le ciel : aussitôt les nuages se dissipèrent et le soleil réapparut en faisant fondre la neige. Le sortilège était enfin levé.

- Félicitations, ma chère Statue ! dit l’artisan ému. Tu nous as tous sauvés. Maintenant, il est temps que je m’occupe de toi.


Mais la Guerrière ne répondit pas, elle resta muette. Elle avait repris sa forme initiale, elle était redevenue une simple statue de marbre. Les dirigeants lui dédièrent alors la plus grande pièce du château royal. Les quatre murs étaient recouverts de tapisseries qui relataient les exploits de la jeune femme. Cette dernière, à jamais immobile sur son socle, trônait au centre de la pièce. Elle était entourée des bouquets de fleurs, des corbeilles de fruits que lui apportaient sans cesse les habitants en guise d’offrande pour la remercier de les avoir sauvés du maléfice.


Depuis lors, de génération en génération, on se raconte la légende du vieux sculpteur et de sa Grande Statue, qui avait pris vie un matin pour réparer l’erreur d’un mauvais prince et ramener la chaleur et la prospérité dans le royaume.


Ilaria

20 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Rêveur

bottom of page